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Gazette des femmes, Cinq questions

Équipe de rédaction — Jeudi, 10 octobre 2024

L’égalité vue par Chloé Sainte-Marie

Chloé

« L’entraide et la solidarité se posent comme valeurs prioritaires, essentielles pour assurer le maintien et l’essor d’une société désormais fragilisée. »

Chloé Sainte-Marie est révélée par le cinéaste Gilles Carle dans les années 1980. En 1986, elle obtient le rôle principal dans La guêpe. En 1991, elle joue La postière, puis Pudding chômeur en 1996. Sorti en 1999, son album Je pleure, tu pleures récolte six nominations au Gala de l’ADISQ, tandis que Je marche à toi remporte en 2003 le Félix dans la catégorie Album de l’année – Folk contemporain. Accompagnée de la poète Joséphine Bacon, Chloé Sainte-Marie se consacre à l’apprentissage de la langue innue. Naîtra en 2009 Nitshisseniten e tshissenitamin (Je sais que tu sais), un album en innu qui rend hommage au fondateur du mouvement folk innu, Philippe McKenzie. Le projet évoluera vers une série de spectacles mis en scène par Brigitte Haentjens. En 2022, l’artiste fait un retour sur scène avec un nouveau disque-livre et un nouveau spectacle, Maudit silence. L’œuvre rassemble 18 poèmes des trois Amériques, récités en 13 langues autochtones, latines et créoles. Pendant plusieurs années, Chloé Sainte-Marie a pris soin de son conjoint Gilles Carle, atteint de la maladie de Parkinson. Elle s’est faite porte-voix des personnes proches aidantes et a fondé la Fondation Maison Gilles-Carle, un organisme qui vient en aide aux personnes en perte d’autonomie et à leurs proches aidant(e)s. L’artiste nous parle de solidarité, de racines et de mémoire.

Accompagner une personne proche peut entraîner des conséquences sociales, familiales, professionnelles et économiques importantes pour les femmes proches aidantes. Mais aussi des effets néfastes sur leur santé physique et émotionnelle. Qui aide les aidantes?

Les aidantes elles-mêmes! Si ce n’est des Maisons Gilles-Carle, qui accueillent et hébergent les personnes en perte d’autonomie, et offrent ainsi soutien et répit aux personnes aidantes – majoritairement des femmes –, confrontées à une des situations les plus éprouvantes de la vie.

La proche aidance est un acte purement volontaire et bénévole. Elle suit le mouvement du reste de la société. L’entraide et la solidarité se posent comme valeurs prioritaires, essentielles pour assurer le maintien et l’essor d’une société désormais fragilisée.

Il faut savoir que plus de la moitié des personnes aidantes meurent avant leurs proches qu’elles se donnent pour mission d’aider. Assertion bouleversante et troublante, qui laisse plus que songeuse… Du moment qu’il perdure, cet état de fait a comme conséquence de démultiplier la mortalité. Et, de fait, c’est la société elle-même qui est en train de s’auto-exécuter.

On sait qu’il est primordial d’éduquer les filles et les garçons aux relations égalitaires, de leur transmettre des modèles de diversité et d’inclusion, libres de stéréotypes. Quelle est l’importance de transmettre une histoire fidèle et une mémoire juste des Premiers Peuples, des femmes autochtones en particulier?

Le changement profond viendra en connaissant mieux notre propre histoire autochtone, métisse, créole. C’est fondamental et décisif d’enseigner dès la maternelle l’histoire des Peuples Premiers, une société matrilinéaire et matrilocale. Marcher le territoire, l’intérieur des Terres. C’est ce que m’a transmis Joséphine Bacon en me disant :

Je veux que tu chantes ma langue

Mais moi je ne savais pas
qu’en chantant ta langue
c’est ta terre que je chantais

Mais moi je ne savais pas
qu’en chantant ta terre
c’est toi que je chantais

Nimushum ton grand-père
Mishapan nitassinan
Ton oraison
Ta piste sacrée

Peta peta Petu pipun
Nipimuten pepuki
Tanité piapanin tshitinniunit
Tanite etain anite ka tain

Passe-moi les saisons Bibitte
Pour allumer mes noirceurs

Toi qui m’as dit un jour
Viens écoute mes mots
Ils descendent la rivière
et tu ne les entends pas

Ils remontent les bois là-bas
cachés par la chaîne des millénaires

Oui tu m’as dit viens que je te donne
et tu m’as tout donné tout-toute

Alors je suis venue et j’ai tout pris
j’ai pris le tout-pris

Et aujourd’hui je veux te dire
que je suis là ici toute-là

C’est à moi maintenant de te donner
même si je sais qu’une vie entière
de « donnés » de « dits » et de « transmis »
ne suffira jamais à épuiser les mercis

Car c’est la vie même que je te dois
rien d’autre que toute la vie

La vie de ta beauté la vie de tes mots
qui se sont mis à chanter en moi
à insuffler à ma conscience l’oracle de ta prière

Je suis féministe parce que…

Je suis née dans une famille de sept enfants. Quatre filles et trois garçons. Toutes des familles nombreuses dans la paroisse. Il y avait même une famille de 24 enfants! Quand on demandait à la mère combien elle avait d’enfants, elle répondait deux douzaines!

À mes cinq ans, mon père a changé de religion.

Nous sommes devenus « les protestants ».

Mon père était boucher. Dans notre petit abattoir de campagne, l’été, mon père tuait 12 bœufs le lundi, 13 cochons le mardi, et le mercredi, on débitait ça avec lui en s’amusant. Le souvenir le plus fort, pris dans ma mémoire… il prenait tous les testicules de bœufs, les alignait dehors près de l’abattoir au soleil, et nous les enfants, on jouait à la balle avec ça!

Je me rappelle, mes frères étaient torses nus, mais moi, je n’avais pas ce privilège. Pourquoi? Je ne comprenais pas. Première révolte contre une injustice… si injuste dans ma tête d’enfant! Les filles, nous n’avions pas le droit de porter des pantalons non plus. Je me rappelle ma mère avoir dit : « mes filles vont porter des pantalons! ».

Qu’est-ce qui avance assurément dans le bon sens pour les femmes dans le monde de la chanson et de la poésie francophone au Québec?

L’autoproduction. Elle permet d’être libre sur tous les plans. Car on le sait bien… une jeune artiste qui commence, entourée de producteurs mâles, aura du fil à retordre pour s’exprimer en toute liberté.

Quelle femme ou personnalité féministe vous inspire le plus?

Joséphine Bacon et Louky Bersianik. Un film m’a particulièrement touchée : Les Terribles Vivantes. Ce film est pour moi un chef-d’œuvre absolu. J’ai été totalement ébranlée par l’analyse de Louky Bersianik sur la langue. Je n’avais jamais réalisé à ce point le pouvoir de la langue, moi qui chante de la poésie. Je le comprenais d’instinct, comme les cantiques protestants que je chantais dans mon enfance.

[Source]